• Sem8-Ville propre, ville durable ?

    C’est bien sûr presque un cliché de souligner la propreté de Tokyo, comme des autres villes japonaises. Mais le cliché vaut peut-être quand même la peine de la réflexivité. Dans un premier temps, par son caractère remarquable : ville propre, oui, mais à un tel point que c’est au début difficile à concevoir. Comment est-ce mécaniquement possible ? Toutes nos villes françaises, ont pourtant aujourd’hui des services de nettoyages publics, multiformes, très efficaces…

    Propreté des jardins et rues Tokyoïtes, ici jardin du Budokan en hivers, près du Palais impérial....

     Sem8-Ville propre, ville durable ?

    ...ou encore au pied de la Mori Tower, quartier Roppongi, avec le statue de 'Maman' par l'artiste française Louise Bourgeois.

    Sem8-Ville propre, ville durable ?

    Une des clés se trouvent peut-être précisément sur ce point. Un service public en charge de….Je ne remets aucunement en cause ici l’efficacité du service public, mais je souligne simplement des facteurs qui m’apparaissent culturellement distincts. Car, en cherchant à comprendre le ‘comment’ de cette mécanique et de ce résultat époustouflant, une deuxième observation troublante arrive rapidement :…il n’existe aucune poubelle dans les rues de Tokyo ! Pas le moindre petit espace collectif où les déchets individuels vont être regroupés ! Mais voici peut-être un élément d’explication ? L’explication se trouve peut-être encore dans ce rapport entre collectif et individu si particulier: pas d’espace collectif, c’est donc à chacun, individuellement, de prendre en charge ses déchets ; à chacun individuellement de faire en sorte que l’espace collectif puisse être vivable pour tous et donc pour chacun. La puissance de cette propreté est la puissance du collectif dont on comprend aisément qu’elle soit beaucoup plus efficace encore que celle de nos services publics, qu’elle qu’en soit la qualité. Sans compter les économies effectives pour lesdits services, par ailleurs très présents au Japon dans d’autres domaines. Efficace oui,…mais uniquement par un terreau culturel qu’il faut savoir relier un à bon nombre d’autres facteurs : l’importance du respect de la règle (parfois renforcée par le ‘contrôle social’ spontané…), le sens de l’attention continue à l’autre, l’importance vitale du collectif,….C’est en ce sens que ce cliché me semble pouvoir prendre une valeur culturelle.

     Mais le sens de la propreté japonaise s’exprime bien ailleurs sans doute que dans les rues. Par exemple aux Onsen, ces magnifiques bains publiques, d’une eau très chaude et la plupart du temps thermale, qui permettent des moments de relâchements uniques, souvent dans un cadre magnifique. Pour mieux comprendre les Onsen, percevoir leur fonction avec un regard historique peut nous aider. Jusqu’après-guerre, le Japon ne connaissait pour ainsi dire pas les salles de bains familiales ou individuelles : les bains et douches étaient pris dans ces espaces publiques : rotenburo, onsen, …..Le Japon est encore marqué fortement par ces traditions, et en logeant dans une auberge traditionnelle (Ryokan), il est habituel de partager là-aussi la salle de bain et les Onsens. Peu habituel pour les européens d’autant que, compte tenu de leur fonction première de faire-toilette, ces bains collectifs se prennent nus (Non ! Je vous entends tout de suite…je n’ai pas écrits nues et nus !). Mais de ce fait, la question de la propreté se traite là aussi dans le rapport entre individuel et collectif qui tisse la société : on imagine bien que partager les petites et grandes impuretés des uns et des autres poserait rapidement problème…. Ainsi, la première phase du Onsen est une grande toilette individuelle des pieds à la tête, extrêmement soigneuse et poussée. Chacun est assis sur un petit tabouret pour cette douche particulière où le moindre carré de peau, de cheveux ou d’ongle mérite de reluire : la propreté individuelle ne transige pas. C’est elle qui permet ensuite de réellement profiter de la chaleur de ces bains partagés, qui deviendront aussi espace collectifs de discussion et de socialisation.

     Ainsi, ce clin d’œil sur les Onsen nous plonge à nouveau dans des perceptions déjà abordées par ailleurs, par exemple ce dialogue entre modernité et tradition, ce dialogue entre individu et collectif. Tout comme si tous ces différentes facettes se reliaient les unes aux autres, comme si tous ces traits (qui semblent attirer nos perceptions par différentiation Orient-Occident, du fait de notre œil neuf) constituaient un ensemble de fils inter-mêlés, qui se croisent et se recroisent, issus d’un héritage du passé qui vibre encore au présent, pour constituer peut-être la trame du tissu que l’on pourrait appeler une culture. Comme si, du fait de cette distanciation de l’œil extérieur, nous arrivions à percevoir et à conceptualiser cette complexité des liens entre un ensemble de facteurs comportementaux, historiques, géographiques, techniques ou sociaux dont l’interaction unifiante pourrait fonder un tout constitutif de ce que nous appelons ‘culture’. Comme si, ce qui faisait ‘culture’ et donc ‘société dans sa spécificité’ était au final constitué par ce lien unifiant et cette énergie collective et partagée, où chaque chose trouve sa place et sa logique dans l’interaction avec tous les autres éléments, permettant de trouver un sens global à l’évolution sociale qui traverse l’histoire.

     D’autres exemples liés à la propreté sont troublants pour le regard occidental. Ainsi le système de tri des déchets à la maison. Je crois que les images ci-dessous en parleront mieux. Il ne s’agit pas de récupérer le verre et les journaux…. Non, c’est bien 9 catégories distinctes de déchets récupérables ou non qu’il s’agit pour chacun de nous, à la maison, de trier. Chacune de ces catégories avec son mode de préparation bien particulier, incluant le nettoyage préalable des emballages recyclables, mais aussi un raffinement tout à fait particulier (et souvent suivi à la lettre) dans l’empaquetage de ces 9 classes d’objets. J’étais surpris en arrivant d’avoir, en l’espace de 2 heures, 3 ou 4 manuels complémentaires d’explications sur les déchets par 3 ou 4 personnes différentes, en japonais comme anglais : j’ai finalement vite perçu que ce n’était pas tout fait de l’humour…Je vous laisse apprécier.

     Manuels de tris des déchets : 28 pages...disponible en japonais et anglais !

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    Et surtout bien choisir les emballages de vos emballages...

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    Ainsi, nous plongeons dans la planète du développement durable. Il est vrai que Kyoto, berceau où la nature, le milieu urbain et la société cherchent le chemin d’un mariage et d’une fusion qui tendent à l’élévation spirituelle de ces lieux magnifiques, a également marqué l’histoire par le Protocole de Kyoto qui a posé une pierre remarquable à l’édifice du développement durable. Cependant, l’esprit de contradiction préservée de notre culture occidentale et franchouyarde, nous pousse à questionner un peu plus ces questions. Certes le Japon met un accent très fort dans son orientation vers le développement durable…mais n’est-ce pas par une nécessité particulière à son mode de fonctionnement ?

    • Les millions de japonais qui mangent rapidement sur leur lieu de travail, les petits plats préparés dans ces ‘convenience stores’ (‘convenie’ en japonais, sans équivalent en français…) générant 3 ou 4 beaux emballages pour chaque repas individuel, recyclables ou non avec des matières très diverses, ne contribuent-ils pas à cette nécessité de l’économie circulaire ?
    • Ces bâtiments particulièrement mal isolés, dotés de systèmes de chauffages inefficients à 100% basés sur l’électricité, qui pulsent (sans réelle sourdine d’ailleurs !) un air chargé de poussière autant que de chaleur, ne contribuent à certains déséquilibres, voire au besoin des masques de respiration si gracieusement présents sur les bouches de ces dames ?
    • Ces toilettes (WC), installés pour 120 millions de personnes, certainement très performantes mais qui restent à chauffer le siège et le lieu en permanence et qui regorgent de plastique mais aussi d’électronique sont-ils un facteur de durabilité ?

    Bien d’autres exemples existent encore, soulignant en effet de réels espaces de travail pour le développement durable, et peut-être là aussi la richesse possible du dialogue interculturel entre Orient et Occident…

    Ryoanji un des jardins de Kyoto ou Nature et Spiritualité cherchent à fusionner... (photo de Guy Jaumotte)

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  • Commentaires

    1
    Geneviève/ kizou
    Dimanche 28 Février 2016 à 15:15

    J'ai aussi lu que les élèves japonais faisaient le ménage dans leurs écoles. cela doit inculquer un sens de la propreté et de l'hygiène. J'imagine bien l'impression que certaines villes françaises doivent faire à un japonais en voyage. Nous avons des poubelles mais certains, hélas, ne semblent pas les voir!   

    D'où le Japon tire t-il son électricité?  J'ai lu que 25,1% était d'origine nucléaire en 2009 avant Fukushima. J'ai aussi lu que le Japon après la Chine est le deuxième investisseur en énergie renouvelable.

    En tout cas les livres de  Sôkyû Genyû que je viens de finir sont merveilleux...   

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    2
    Magali
    Dimanche 27 Mars 2016 à 13:02

    Et je suppose que le tri des déchets n'est pas rémunéré? Alors que l'industrie du recyclage en tire profit...tsss...

    Le conseil de mon quartier a organisé une réunion sur cette question en janvier. C'était le 1er sursaut organisé sur le travail au noir que les collectivités locales tentent d'imposer à la population.

    Pas de nouvelles depuis mais avec l'augmentation de 8.9% des impôts locaux, nous allons peut-être en entendre parler à nouveau.

    Pas zen tout ça, pas glop. 

    C'était un peu d'esprit de contradiction gaulois pour que tu n'aies pas un trop gros choc culturel à ton retour.

    Bise parfumée et bonne semaine.

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