• Parées en geisha, Kyoto

    Règle et liberté, cadre et créativité : L'art du Kimono

    Les facettes des arts japonais sont multiples et je ne connaissais pas les kimonos japonais ni ne m’y intéressais particulièrement. C’est donc par hasard, que je suis arrivé dans une exposition sur les tissus japonais et les kimonos anciens (musée Yayoi, un endroit charmant proche de Ueno que je vous conseille – métro nezu). Je parcourais donc cette exposition, sans réellement m’y intéresser, jusqu’à ce que j’aperçoive deux jeunes visiteuses japonaises arrêtées devant l’un de ces kimonos, en pleine discussion, remplies d’admiration. Cela provoqua un déclic,  dégrossissant un peu ma vision esthétique : pourquoi ce kimono particulièrement ? N’était-ce pas un kimono comme un autre ? La forme n’était-elle pas ce standard classique sans grande variation ?

    A kyoto au moment de la Fête des fleurs (avril)

    Règle et liberté, cadre et créativité : L'art du Kimono

     Cette nouvelle clarté a immédiatement fait le lien avec d’autres facettes entrevues sur la culture japonaise. Je me suis d’abord aperçu, en réexaminant cette exposition, qu’il n’existait pas de ‘kimono comme un autre’. Simplement cela n’existait pas : chaque kimono était ici unique. Où se situait donc la créativité, dans cette forme standard ? Oui la forme est sans doute standard, composée de manière basique de morceaux de tissus rectangulaires pour le corps du kimono (mes propos sont très limités à ce que j’ai observé, encore une fois je n’ai aucune culture en la matière ; mais il reste intéressant de prendre conscience de ce qu’éveille ce simple regard de néophite). Cette forme fournit un cadre, qui ne semble pas soumis à la créativité. Un cadre qui semble donc inamovible : la base carrée à partir de laquelle construire. Et c’est à l’intérieur de ce cadre, dans le respect de ce cadre, que l’œuvre et l’esprit du créateur pourra s’exprimer. Chaque kimono est un tissu à part entière qui semble n’exister que de manière éphémère pour cette œuvre et pour nulle autre. Chacun de ces tissus constitue une œuvre unique, un équilibre très particulier dans le choix des assemblages de formes et de couleur, dans le dessin qu’il soit réaliste ou abstrait et dans la manière dont il habillera la femme qui le portera. Les vides et les pleins, les moindres détails en correspondance mutuelle, la finesse extrême de certains tissages : tout concourt à un raffinement profond, fruit d’un langage artistique à la fois libre et très éduqué. Le kimono créé une émotion esthétique inattendue.

     Kyoto, Fêtes des Fleurs 2016

    Règle et liberté, cadre et créativité : L'art du KimonoRègle et liberté, cadre et créativité : L'art du KimonoRègle et liberté, cadre et créativité : L'art du Kimono

    On peut aussi relever que la beauté féminine n’est pas relevée ici de la même manière qu’en occident. A la grande époque des kimonos les plus soyeux, la soie avait aussi envahi les cours royales européennes. Les corsets les plus resserrés permettaient alors de faire ressortir, avec moultes jupons, la rondeur des hanches, alors que les poitrines remontées s’affirmaient avec des décolletés n’ayant d’égale que l’échancrure offrant la blancheur du dos à qui s’y intéresserait. Rien de tout cet affichage et de toute cette extériorité dans le kimono japonais. Encore une fois, la forme est unique et standard. Elle enveloppe le corps féminin des épaules aux pieds dans un tombé qui efface les rondeurs et les formes, pour dessiner la verticalité du mouvement. Plutôt que de tout extérioriser, le raffinement du tissu souligne la beauté intérieure en l’enveloppant d’une protection qui conserve le mystère.

     Le mystère reste à découvrir…

     

    Règle et liberté, cadre et créativité : L'art du Kimono

    Les kimonos conservent à ce jour non seulement leur forme inamovible, mais aussi l’amour que leur portent les japonaises. J’ai cru un moment que cela concernait surtout de Kyoto, cette grande dame qui veille sur les traditions ; mais Tokyo n’est pas en reste, dès que l’occasion se présente. La culture orientale reste bien vivante….

     Tokyo, démonstration Yabusame

    Règle et liberté, cadre et créativité : L'art du KimonoRègle et liberté, cadre et créativité : L'art du Kimono

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Dans l’Aïkido, le cadre nous est fourni notamment par le Reïgisaho. C’est dans le respect de ce cadre que peut se construire et s’exprimer la créativité du Budoka.

    Semblable au Kimono, le tatami du Dojo est, lui-aussi, rectangulaire, composé également de rectangles plus basiques. En entrant sur le tatami l’enseignant suit et marque par son déplacement cette forme de base. C’est le symbole à la fois de la matérialité (le corps) et du cadre de base à partir duquel nous étudions et construisons progressivement notre liberté (éduquer l’esprit). Ce cadre rectangulaire est le lieu de l’éducation : sur le tatami tout reste simple, même si l’étude technique nous pose souvent quelques difficultés…Par contre, dès que l’on sort du Dojo il n’y a plus de ligne ou de cadre bien tracés : vivre l’Aïkido au quotidien est autrement plus complexe. Quand la frontière entre Dojo et quotidien s’évanouit, alors peut-être tout devient-il finalement plus simple ?

    Takao-San, Moines Bouddhistes

    Règle et liberté, cadre et créativité : L'art du KimonoRègle et liberté, cadre et créativité : L'art du Kimono

     

     

     

     

     

     

     

    Règle et liberté, cadre et créativité : L'art du Kimono


    1 commentaire
  • En route...

    S19-Koya-san

    Koyasan est un lieu assez unique, particulièrement intéressant à découvrir à différents titres : bien sûr, il est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco ; mais au-delà de ce label de qualité, c’est un espace où l’écrin de montagnes et de nature puissante et belle a su conserver de manière particulière la profondeur de certaines traditions ; c’est un endroit où le lien entre l’homme et la nature, lien développés par les cultures bouddhiste comme shintoïste, reste particulièrement vivant ; c’est un lieu où l’on peut appréhender et approcher d’un peu plus prêt la pratique spirituelle ancienne du Japon.

    Temple principal du Shingon : Kongobuji, fondé par kukaï

     S19-Koya-sanS19-Koya-san

     

     

     

     

     

     

    Nous sommes au tout début du 9è siècle. Déjà habillé de son habit monastique, le moine Kukaï part vers la chine vers l’an 804. C’est en Chine, pendant une période s’étalant sur deux ans, qu’il recevra la transmission complète des enseignements d’une lignée bouddhiste peu connue au Japon (bouddhisme Shingon) par un Maître Chinois. Intellectuel et déjà érudit, il découvre également un monde chinois très riche et d’une culture très dynamique, avec cette capitale de la dynastie chinoise TANG, située au cœur de la route de la soie et qui constitue à cette époque la plus grande métropole urbaine sur terre (je crois –à vérifier…-  qu’elle compte de l’ordre de 6 millions d’habitants !). Kukaï s’intéresse tout particulièrement aux arts chinois dont il restera fervent admirateur, notamment en ce qui concerne la poésie et les arts graphiques.

     Konpon-Daito, grande Pagode initié sous Kukaï

    S19-Koya-san

    Son Maître arrive au terme de sa vie. Sur son lit de mort, il recommande à Kukaï de retourner dans son pays, le Japon, pour transmettre les enseignements bouddhistes. Ni une, ni deux, le moine Kukaï jette son Vajra dans l’océan, vers l’Est où se situe le Japon (‘Vajra’ attribut bouddhiste, utilisé comme objet cérémoniel et symbolisant la connaissance transcendante –à vérifier….-). Ainsi, de retour au Japon en 806, il parcourt de nouveau son pays et, arrivé dans la montagne de Koyasan, il retrouve son Vajra planté dans un pin. A partir de 816, l’empereur l’autorise à créer un temple, et c’est donc ici qu’il créera un temple bouddhiste lui permettant de développer les enseignements Shingon encore très développés et très actifs actuellement au Japon, considérés comme un bouddhisme ésotérique. Kukaï devient alors Kobo Daishi. Dans les éléments de base appréhendables par le touriste, le Shingon intègre dans une même pratique le corps, l’esprit, la parole. Les 10 préceptes de base concernent ces 3 aspects du comportement au quotidien. Au contraire de la méditation Zen, qui se déroule dans le silence intérieur et la recherche du vide, la méditation Shingon utilise des mantras et sutras qui sont chantés, accompagnés d’instruments musicaux cérémoniels. On perçoit facilement combien les chants créent une vibration qui change l’état interne du corps et sans doute du mental. On imagine par ailleurs que le sens et la portée des paroles peuvent contribuer à une forme d’élévation spirituelle. Outre, la pratique du matin que vous pouvez suivre dans le temple où vous logez, je vous conseille aussi l’émouvante petite cérémonie Jukaï qui se déroule au pavillon des préceptes.

     Kongobuji- Jardin Banryutei, le plus grand jardin sec du Japon.

    S19-Koya-san

    La nature ne vous décevra pas non plus, dans ce lieu, point de départ des sentiers de Pèlerinage de Kumano Kodo ou de Choishi-michi, où vous trouverez par ailleurs plusieurs sentiers locaux bien tracés permettant par fois de passer d’une visite culturelle à une autre par un petit sommet local parcouru pedibus-jambus.

    Vues depuis le mont Benten-dake. En bas la pagode.

    S19-Koya-sanS19-Koya-san

     

     

     

     

     

    Mais, comme ce que font tous les guides touristiques, nous ne pouvons que recommandez la forêt mystique du cimetière Oku-no-In, qu’il faut parcourir au crépuscule puis la nuit tombée. Végétal (arbres remarquables pluri-centenaires…), Minéral (200 000 tombes ou Mausolées, animant le crépuscule d’ombres particulièrement vivantes…), Eau (Symbole et élément indispensable du cérémoniel) et même règne Animal (croassement singulier des grenouilles locales elles-aussi animal symbolique, derniers cris stridents des oiseaux avant de sombrer dans le sommeil,…), tout contribue à engendrer une atmosphère bien particulière vous préparant à la rencontre avec Kukaï. Sauf parfois les groupes de touristes (qu’ils soient d’ailleurs Japonais ou étrangers) pas toujours à l’écoute de tout cela…

    Oku-no-In

    S19-Koya-san

    C’est donc là, à l’extrémité de cette forêt, sur les hauteurs, que médite Kukaï, dans son Mausolée entouré de cèdres…et de fleurs d’or. Deux fois par jour le repas lui est servi. Le Pavillon des lanternes situé juste devant est aussi un lieu remarquable, notamment la nuit tombée.

    Pavillon des lanternes

     S19-Koya-san

    Les moments passés à Koyasan peuvent s’enrichir aussi de différentes facettes du quotidien qui contribuent à construire un moment particulier : le rythme quotidien du logement au temple et ses règles de bienséance, la cuisine des moines de Koyasan (vraiment mémorable…mais je ne pense pas que le cuisinier soit moine !), les rencontres ici où là, peut-être renforcées par le caractère paisible des lieux.

    La cuisine des Temples...

    S19-Koya-sanS19-Koya-san


    2 commentaires
  • Les japonais restent la plupart du temps très placides dans leur déplacement. A croire qu’ils ne sont jamais pressés. Est-on en retard …que l’on prendra le train suivant. Comme si le résultat attendu (prendre le train) importait moins que le comportement dans l’instant (garder le calme). De même, dans l’environnement professionnel (que je connais cependant encore très peu…) on a souvent le sentiment qu’il s’agit d’abord de trouver sa place, puis que la forme d’accomplissement recherché consiste à remplir cette fonction avec nos qualités du moment, plutôt que de chercher à atteindre telle ou telle performance pré-établie. La place fournit peut-être un cadre, qu’il reste encore à habiter et à enrichir (construire le chemin…) à la fois par notre activité professionnelle et par l’expérience de vie personnelle qui peut s’y construire ; peut-être un peu comme le tableau fournirait au peintre le cadre délimité dans lequel exercer sa créativité. En comparaison, le professionnel occidental me semble moins porté sur ce sentiment d’avoir ‘trouvé sa place’ et il me semble plutôt vivre une tension plus maintenue de recherche d’une forme de performance, qui lui permettra d’évoluer en continu dans son schéma de carrière. Cependant tout équilibre possède ses contreparties. Ainsi, les cadres (très présents au Japon) apportent du positif, mais paraissent aussi induire d’autres conséquences négatives : tout le monde ne trouve pas le chemin…

    Iwama- Lieu du Dojo fondateur de l'Aïkido - Statue de Moriheï Ueshiba, fondateur, devant l'Aïki-Jinja, le sanctuaire shintô dédié à l'Aïkido.

    Cheminement et Performance

    Cheminer constitue sans doute un sens majeur de la philosophie du quotidien japonaise. A travers les arts japonais qu’ils soient traditionnels ou plus modernes, à travers l’expression de la philosophie de vie orientale, comme à travers bien des comportements quotidiens tout semble converger vers une civilisation du cheminement intérieur. La réalisation ultime qui guide cette philosophie peut sans doute être associée à l’éveil des Maitres Zen, qui est également celui des Maîtres de Thé, ou encore des Maîtres de Budo accomplis. Le chemin qui mène à cet accomplissement n’est aucunement un chemin de recherche d’une performance, tout extrême soit-elle. Cet éveil ne s’atteint que dans le vide de but, le vide de toute recherche de performance. Dans le bouddhisme Zen, l’assise Zazen consiste à établir ce vide, à le stabiliser et à trouver dans ce vide un autre état d’être, au-delà de la notion de performance elle-même.

     Iwama- Aïki Jinja - Cérémonie et démonstration annuelle à l'occasion de l'anniversaire du décès de O-Senseï

    Cheminement et PerformanceCheminement et Performance

     

     

     

     

     

    Si la plupart des japonais ne se sentent  pas concernés par la notion d’éveil ni par la pratique de Zazen, cette dimension a imprégné leur culture depuis le 8è siècle. La culture semble devenue une courroie de transmission de ces enseignements essentiels de manière élargie à l’ensemble de la société, un outil pour le maintien vivant de cette ‘philosophie’, de génération en génération. Dans le quotidien de la vie moderne, le sens du chemin et du respect de sa place permet d’apaiser bien des frustrations, bien des tensions égotiques, bien des sentiments de non-réalisation présents en occident. Trouver sa place sur un chemin dont on ne perçoit pas tout et, dans l’ici et maintenant, faire du respect de cette place le bon comportement apporte une forme d’apaisement : le bonheur d’être dans la justesse. Sans doute est-ce assez éloigné de la version occidentale consistant plutôt à chercher une performance plutôt qu’une place et son chemin associé ; la performance donne souvent naissance à une insatisfaction préalable (tant que la performance n’est pas atteinte) puis à une insatisfaction postérieure (puisqu’un nouvel enjeu de performance vient immédiatement remplacer le précédent).

    Bien-sûr, ce sont là des schémas taillés à la serpe en quelques phrases ; il reste néanmoins un questionnement orient/occident intéressant sur ce sens du ‘cheminer’.

     Iwama- Aïki Jinja - Cérémonie et démonstration annuelle à l'occasion de l'anniversaire du décès de O-Senseï

     Cheminement et PerformanceCheminement et Performance

     

     

     

     

     

    L’Aïkido est intrinsèquement profondément marqué par ce sens, inscrit dans le Do. En pratiquant au Japon, on sent nettement combien l’Aïkido est chemin d’éducation de soi et aucunement recherche d’une performance. Pour autant, ce sens n’est en rien contradictoire avec une recherche technique extrêmement exigeante, considérée comme outil de travail. Quel que soit leur âge, quel que soit leur niveau de pratique, on va retrouver sur le tatami des pratiquants qui semblent présents sans rien attendre de particulier si ce n’est de continuer leur pratique avec plaisir, semaine après semaine, mois après mois, année après année (à la vue de l’âge de certains…). Comme pour simplement rester sur le chemin. On perçoit quelque chose de beau, simple et profond dans cet engagement de toute une vie pour certains, qui suivent ce Do ouvert par une personnalité hors du commun. Bien sûr, les pratiquants vont aussi chercher une progression dans leurs grades et un certain nombre de pratiquants sont également attachés à devenir eux-mêmes enseignants ou experts. Mais ces motivations ne semblent pas indispensables à tous et le fait d’être sur le chemin semble faire sens naturellement, un peu comme un écho de la profondeur mise à nue par O’Senseï.

     Iwama- Aïki Jinja - Démonstration par le Doshu et Waka Senseï

    Cheminement et Performance

    Cheminement et PerformanceCheminement et Performance

     

     

     

     

     

     

    En tant que pratiquants, nous sommes tous confrontés à bien des moments, dans notre Reigisaho personnel, pour des petites choses comme les passages de grades ou bien des choses plus importantes, à prendre conscience et approfondir le sens ou la motivation intrinsèque qui nous amène sur les tatamis et qui nous conduit à nous comporter de telle ou telle manière. Je pense que cela vaut la peine de s’y arrêter un peu.

     Dojo d'Iwama en 2016 - A l'occasion des festivités.

    Cheminement et Performance

    Cheminement et PerformanceCheminement et Performance


    1 commentaire



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires